Un nouveau programme pour l'aviron?

Je ne prends pas souvent la plume pour m’exprimer sur des sujets touchants le sport ou le mouvement sportif en général. En tant qu’athlète, on voit passer les nouvelles et même quand elles nous touchent, il est parfois difficile de s’exprimer sur le sujet. Que ce soit le virus Zika, les droits de l’Homme à Pékin, la gestion financière des Jeux de Rio, l’attribution des Jeux à tel ou tel pays,... . Les sujets sont nombreux. Ils peuvent nous toucher plus ou moins mais je sais que de prendre la parole engendre toujours son lot de satisfaits et d’insatisfaits. Aujourd’hui ne dérogera peut-être pas à la règle.


Depuis mes débuts sur les bassins internationaux, l’évolution de l’aviron en tant que sport au sein du mouvement olympique a été un sujet récurrent. Je me souviens remplir des questionnaires à Gifu au Japon en 2005. « Seriez-vous prêt à courir sur 500m ? ». « Seriez-vous favorable à des catégories mixtes Homme/Femme ? ». « Quelle catégorie de bateau devons nous garder, supprimer ? ». Je ne vais pas cacher qu’à 18-19ans, mon avis sur la question était plutôt tranché. L’aviron est très bien ainsi, pourquoi vouloir le changer ! On a facilement tendance à penser que sa catégorie de bateau est la plus légitime du circuit et que le changement ne ferait que favoriser l’autre et pas soi-même. Après presque de 12 années à remplir des questionnaires de la commission des athlètes de la FISA (Fédération Internationale des Sociétés d’Aviron) et surtout après avoir observé et vécu les Jeux Olympiques, il est clair que mon regard sur le sujet à changer. L’aviron doit se remettre en question et changer. Mais cela doit avoir un vrai sens et surtout ouvrir de vraies opportunités pour notre sport. Le Comité International Olympique (CIO), pour des raisons qui nous dépassent souvent (médias, attractivité, visibilité, sponsors,...) et qui sont parfois discutables, donne la ligne à suivre pour des disciplines qui doivent se remettre en question. Aujourd’hui, la parité, durabilité, l’universalité du sport sont des thèmes qui deviennent des règles. L’aviron n’échappe pas au regard des membres du CIO qui voient dans notre discipline un sport avec beaucoup d’athlètes (550 en 2012), qui coûte cher en infrastructure (17M € à Londres) et qui rapporte peu !
Cerise sur le gâteau, nous n’avons pas la parité homme/femme et on pourrait faire mieux pour l’universalité (nombre de pays présent aux Jeux). La FISA a donc récemment proposé 3 options pour faire face à ce challenge:
• Retrait du 4 sans barreur Homme Poids Léger, remplacé par le 4 sans barreur Femme
• Retrait des 4 sans barreur Homme Poids Léger et toute catégorie, remplacés par les skiffs Poids Léger Homme et Femme
• Retrait du 4 sans barreur Homme Poids Léger et des doubles Homme et Femme Toute Catégorie, remplacés par les skiffs Poids Léger Homme et Femme et le 4 sans barreur Femme.


Quand je lis ça, j’ai l’impression qu’on joue aux chaises musicales et qu’opter pour l’une ou l’autre de ces options ne ferait que retarder l’inéluctable si l’on ne fait rien de plus. La communauté des Poids Léger s’offusque, et comme je le disais à l’instant, je les comprends car quand on menace une catégorie, les personnes concernées lèvent le bouclier. On a vite l’impression que cela ne touche que soi-même. Mais je sais aussi que je vais en choquer quelques-uns en disant que pour moi, la présence d’une catégorie Poids Léger aux Jeux Olympiques n’a pas vraiment rempli son but initial qui « était de rendre l’aviron plus accessible dans le monde » (Article WorldRowing). La réalité, c’est que les nations performantes de l’aviron en toute catégorie sont les mêmes que celles qui performent en Poids Légers. On trouvera toujours une exception ici ou là mais ce ne fut pas un vrai renversement de l’échiquier et même si la Chine ou l’Afrique du Sud surent, par exemple, s’imposer en Poids Léger, ce n’est pas parce que ces pays ne sont pas capable d’avoir des programmes Toutes Catégories performants. Je n’essaye pas de faire une vendetta contre les Poids Légers. Si l’aviron peut être essayé par plus de monde, tant mieux. Si des catégories de poids permettent à des jeunes de se lancer dans le sport, tant mieux. Mais je reste persuadé que l’ajout de catégorie Poids Légers en doublon des Toutes Catégories n’a fait qu’embrouiller un peu plus la visibilité au niveau olympique de notre sport qui a déjà du mal à se défaire d’un langage ésotérique au grand public et d’une présence médiatique quadriennale. Est-ce donc une solution que de jouer aux chaises musicales ? Devrions-nous créer une catégorie 80-90kg et s’enfoncer un peu plus dans un système de poids ? Ou devrions-nous multiplier les doublons pour être sûr de perdre toute personne néophyte qui oserait regarder une course aux JO?
Pourquoi ne pas saisir l’opportunité de réformer en profondeur notre sport et de proposer un projet vraiment novateur et qui nous permettra de reprendre notre position de discipline moteur du mouvement olympique ?


On oublie souvent que jusqu’au milieu du 20ème siècle, le format de l’aviron aux JO n’était pas aussi codifié qu’à l’heure actuelle. Distances variables, duel, rivière avec courant ou lac calme. L’aviron s’adaptait au lieu, à l’histoire et aux traditions de la nation hôte. Je pense qu’il est temps de se remonter les manches et de proposer un vrai programme novateur qui permette à la fois de répondre aux critères du CIO (parité des sexes, universalité, diversité, durabilité, nombre d’athlètes,...etc) et de faire avancer notre sport dans des domaines telles que la visibilité médiatique, l’accès au sport, etc....
Je ne vais pas chercher qui fut exactement à l’origine de l’idée car cela est le fruit de discussions, parfois endiablées, mais cela fait des années que je prêche en faveur d’un programme de compétition aux JO permettant de doubler (courir dans plus qu’une seule catégorie de bateau). Non pas que cela soit interdit aujourd’hui mais la grille horaire et l’organisation de la semaine rendent cela quasi impossible pour performer à 100%. Pourquoi suis-je en faveur d’un tel programme?
Ce programme permettrait de :
- conserver le nombre d’athlètes actuel (550) tout en augmentant le nombre de bateaux par catégorie ;
- résoudre la problématique de parité sans pour autant affaiblir telle ou telle catégorie ;
- accroître la densité par catégorie et donc d’offrir un « spectacle extraordinaire » au public ;
- faire ressortir des « stars » et des noms en multipliant les possibilités de médailles par athlètes comme c’est le cas en natation, en ski ou en athlétisme ;
- augmenter notre visibilité médiatique sur une semaine de compétition ;

 

Tout comme Martin Cross ou Rowing Related, je suis partisan d’un programme « bateaux courts » en début de semaine et « bateaux longs » sur la fin de celle-ci. Les solutions sont à creuser mais les idées ne manquent pas. Format Coupe du Monde sur 2 ou 3 jours. On peut imaginer que seuls les athlètes courant en skiff et en double soient autorisés à courir en quatre de couple. Idem pour le huit. Cela pourrait même permettre d’avoir plusieurs skiffs ou deux de pointe d’un même pays aux JO. Et puis, on peut toujours conserver un système de qualification continentale permettant l’universalité. Mais surtout, on traiterait les bateaux longs comme des relais en athlétisme ou en natation.
Si l’on pousse un peu la réflexion, pourquoi ne pas inclure de l’ergomètre (machine à ramer) dans le programme olympique ? Un 2km pour les athlètes participant à l’une des épreuves sur l’eau.En terme d’universalité, on touche le jackpot là ! Combien de personnes à travers le monde, crossfitters, amateurs du dimanche, sportifs de garage ou afficionados de la machine à ramer pourraient regarder une épreuve indoor et s’identifier à l’effort fourni en live ? Je me suis toujours demandé pourquoi les moyennes d’ergomètres n’étaient pas affichées au départ d’une course. Avec une participation obligatoire à un Open d’ergomètre chaque année pour les rameurs souhaitant participer à des compétitions internationales, cela permettrait à la FISA de disposer de ces chiffres et ce créer ainsi un « Winter Tour » avec des prix à la clé. Quid du lieu de la compétition ? Des distances de course ? Une catégorie de bateau mixte ?

 

Au final, je reste convaincu que la problématique du 4 sans barreur poids léger au programme remplacé par le 4 féminin ou encore le double toute catégorie remplacé par le skiff poids léger sont de fausses problématiques. Certes, la FISA peut décider de supprimer ou non la catégorie de bateau mais cela ne résoudra aucun des autres problèmes. A mon sens, il faut être novateur. Avoir une catégorie poids léger au programme olympique n’est pas une solution. Créée en 1996, cette solution n’a pas empêché les coupes successives et à venir. Pire, on s’enfonce dans un concept pour sauver qui ? quoi ? Sans vouloir faire de fausse comparaison, cela est revenu à créer une catégorie Poids Lourds au Marathon pour permettre à quelques nations d’accéder au sport. Et au final, ce sont quand même les Kenyans qui gagnent. Personnellement, j’ai souvenir de me faire mettre des raclées sur l’eau par des Poids Légers que ce soit sur longues distances ou sur du très court. Permettre l’accès au niveau des championnats du monde avec cette catégorie, tout à fait d’accord. Mais une rapide comparaison des chronos démontrera que les meilleurs poids légers pourraient largement jouer avec les « Toutes Catégories » (qui plus est avec quelques kilos en plus ;) ) et pourquoi pas gagner comme ce fut le cas en 1992 en deux de couple. Est-ce que les gens seraient aussi captivés par le 100m si on ajoutait 2 ou 3 autres courses sur 100m mais avec des catégories de poids ? Simple, facile à comprendre, rapide et serré. C’est ça les Jeux aujourd’hui. C’est peut-être triste mais c’est ainsi.

 

Revoir le programme en profondeur et permettre à l’aviron de rester aux JO au 21ème siècle doivent être la priorité #1. Les mesurettes qui nous donnent le droit de rester une olympiade de plus ne sont pas des solutions pérennes quoiqu’il arrive. Ce sont des pansements.
Je ne cherche pas la controverse ici et je sais déjà que certains de mes amis poids léger vont me tirer les oreilles au réveil. Toutefois, j’ai la volonté de croire que c’est la confrontation d’idées et la proposition de solutions qui font avancer les choses. Aucun programme ne fera l’unanimité. Sans pour autant nous fourvoyer, proposons un véritable avenir pour notre sport.


« L’aventure continue... »